Cartas a Ofelia / Crónicas galas

Cubamatinal / Paris le 20 juin 2018.
Un grand livre. L’écriture passionnée de la belle plume d’Anthony Sitruk nous fait partager les rêves de liberté et l’audace de son héros. Mêlant réalité historique et fiction, l’auteur raconte la vie d’un homme qui a contribué, au XXe siècle, au réveil de son pays contre la dictature communiste.
« … ce soir-là, sur France 3, un titre, qu’il m’a fallu chercher sur Google pour retrouver la date de diffusion (et découvrir qu’il avait été rediffusé sur la chaîne Planète trois ans plus tard), attire mon attention : Jan Palach, mourir pour la liberté — de Dobroslav Zbornik, 55 min, couleurs et noir et blanc. Suivi du synopsis : Le 16 janvier 1969, Jan Palach, un jeune étudiant de vingt ans, s’immole à Prague près de la place Venceslas, pour protester contre l’invasion de son pays et la capitulation des autorités.
Jan Palach.
Ce nom, ferme, fermé, aride, devenu pour moi synonyme de l’horreur, je le lis et l’entends pour la première fois et pendant quelque temps il ne me lâchera plus. Le documentaire est court, moins d’une heure, mais c’est le seul tourné en français et il montre l’essentiel, faisant intervenir le frère de l’étudiant, ceux qui l’ont vu grandir, ceux qui ont tenté de le secourir sur la place Venceslas. Palach lui-même est présent à travers les quelques images que l’on conserve de lui sur son lit d’hôpital, immobile, peinant à formuler les dernières paroles qui, malgré les tissus du visage rigidifiés par les flammes, parviennent jusqu’à nous. Comment oublier les images capturées par Milan Maryska qui reste au chevet de Palach, la caméra à l’épaule, jusqu’au bout de sa mort lente.
Jan Palach. »
« Je ressors le carnet. Coincée entre deux pages, la copie d’une lettre que Palach remit au leader étudiant Lubomír Holecek lors d’un meeting, dans laquelle il propose aux étudiants d’occuper les locaux de la radio nationale et de diffuser un appel à la grève.
Chers condisciples,
Après mûre réflexion, je vous adresse cette lettre pour vous proposer mon idée. Étant donné la situation actuelle, il est évident que les actions étudiantes isolées, aussi bien que les grèves ou les manifestations, restent sans effet. Il est aussi évident que, sans l’aide des médias, aucune action efficace (par exemple une grève générale) ne sera engagée à l’échelon national. Mon idée vous paraîtra folle, et peut-être l’est-elle en effet : occupons les locaux de la radio nationale et diffusons un appel à la grève, pour l’abolition de la censure, en soutien à Smrkovskÿ.
Une occasion pareille, une situation aussi favorable ne se représenteront pas de sitôt. La prise des locaux elle-même peut être menée par un petit groupe, avant qu’un plus grand nombre d’étudiants se réunissent autour de la radio.
Si cette idée vous semble idiote, jetez cette lettre et n’en parlez à personne. Dans le cas contraire, faites ce qui vous semble le plus approprié. le déteste l’anonymat, et pour éviter d’être pris pour un provocateur, je signe de mes nom et adresse.
Jan Palach
kolej UK Sporilov 5/6
Nous sommes le 6 janvier, et il clôture sa lettre par un post-scriptum resté célèbre qui prouve son sens de la formule : Janvier 68 venait d’en haut. .janvier 69 peut venir d’en bas. »
L’Histoire, « avec sa grande hache », prend tour à tour tous les visages, ceux d’un général à lunettes noires ou d’un gouvernement endimanché à la placidité rondouillarde, d’un survivant au corps raclé jusqu’à l’os par la famine et la mort ou du badaud qui regarde passer le train-train des événements, ivre d’indifférence. Le 16 janvier 1969, l’histoire tchécoslovaque n’a qu’un visage, celui, défiguré, calciné, de Jan Palach, étudiant praguois de vingt ans dont l’immolation publique, accomplie en protestation contre l’occupation « fraternelle » des forces soviétiques, vient de sidérer l’Europe.
Il existe bien des moyens d’afficher son refus de l’asservissement et son désir de liberté, beaucoup optent pour le comptoir ou le mégaphone, le papier et la colle, Palach, lui, a choisi sa peau et le feu, passant en un éclair des partiels à l’Histoire. C’est l’histoire de ce geste qu’Anthony Sitruk, au fil d’un essai-reportage précis et fervent, nous narre avec une précision de témoin. Histoire d’un enfant parmi d’autres, d’un adolescent qui ne fait pas de vague, d’un étudiant moyen, histoire d’un Tchèque parmi beaucoup d’autres Tchèques qui soudainement, à l’issue d’une maturation lente et d’une volonté forcené, sort du lot pour se faire la Torche n°1, celle qui, espère-t-il embrasera le pays. D’autres suivront, d’un éclat égal, donnant à cette résistance l’allure d’une confrérie kamikaze d’« exaltés véridiques». Médaillée, muséographiée, devenue icône de l’histoire tchèque, la figure de Jan Palach, c’est ce que nous montre cette enquête, résiste à l’embaumement, gardant après un demi-siècle sa véhémence tragique et sa fraternelle proximité.
« À 14h30 environ, ce quidam grimpe jusqu’à la fontaine du musée. Il porte son blouson bleu, personne ne fait attention à lui, la vie suit son cours dans ce carrefour au sommet de la place Venceslas. Dans quelques minutes pourtant, son histoire croisera celle de son pays, celle de la foule qui l’entoure, la mienne, la vôtre peut-être. À l’instant où il prend feu, où comme Meursault il détruit l’équilibre du jour, l’histoire de la Tchécoslovaquie prend un tournant décisif que personne à l’époque n’ose réellement mesurer ni espérer. Ce tournant, Palach ne sera pas là pour le voir puisqu’il succombe à ses brûlures trois jours plus tard, le 19 janvier 1969. »
« L’Histoire commence, alors que l’histoire, la petite, celle de Palach, termine bientôt. Et alors que l’étudiant s’éteint doucement dans sa chambre d’hôpital où le personnel met tout en oeuvre pour soulager la douleur en lui administrant de nom¬breux calmants, où la directrice bloque l’entrée aux journalistes et même aux enquêteurs de la StB, la foule se presse autour de la statue de saint Venceslas, sur laquelle un témoin a écrit : « Ici un étudiant de vingt ans s’est immolé ». On commente, on questionne, on raconte, on attend que rien ne se passe. Puis vient la lettre, celle que la police trouve dans la sacoche de Palach, celle par laquelle il entre dans l’Histoire en même temps que dans nos vies. Avant la lettre, on ne comprend pas, on se dit c’est quoi ce bordel, on se dit où va la jeunesse, on se dit qu’on aura quelque chose à raconter ce soir. On aimerait même en rester là, ça vaut mieux, on en a déjà assez bavé depuis l’été dernier, ça va bien, foutez-nous la paix. Seulement la lettre, elle, ne nous lâche pas, elle s’immisce dans les crânes et se répand dans toute la ville, reproduite à des centaines d’exemplaires. La lettre, elle fout la merde. La lettre, elle dit ceci.
Étant donné que nos nations sont arrivées au bord du désespoir, nous avons décidé d’exprimer notre protestation et de réveiller le peuple de ce pays de la manière suivante :
Notre groupe est composé de volontaires décidés à s’immoler par le feu pour notre cause.
J’ai eu l’honneur de tirer le numéro un et j’ai acquis ainsi le droit d’écrire les premières lettres et de devenir le premier flambeau.
Nos revendications sont les suivantes:
– que la censure soit immédiatement supprimée,
– que le journal Zprávy soit interdit à la distribution. Comme on peut le voir, nos revendications ne sont
pas excessives, elles sont même trop modérées.
Si ces revendications n’aboutissent pas d’ici à cinq jours, c’est à dire le 21 janvier au plus tard, d’autres torches suivront. Et prenez conscience que, parmi les gens qui vont se sacrifier, il y en a peut-être qui vous sont chers.
Torche n° 1
P-S.: Puisse mon sacrifice suffire à instruire le peuple.»
«Anthony Sitruk a voulu comprendre ce qui c’était réellement passé, les motivations du jeune homme, les réactions de son entourage (…) pour essayer de ranimer la flamme de la liberté symbolisée par cet acte auto-destructeur.» Denis Billamboz. Critiques Libres
Né en 1975, Anthony Sitruk grandit à Sarcelles. Passionné de cinéma, il veut devenir créateur de maquillages et d’effets spéciaux. Puis scénariste. Puis parolier. Puis médecin légiste. Pour finalement atterrir dans un grand groupe aéronautique. En 2013, son premier roman, Pornstar, nous plongeait dans le milieu du X parisien à travers le destin d’un acteur sur le retour. Dans La Vie brève de Jan Palach, il nous conduit à Prague, sur les traces de cet étudiant tchécoslovaque qui s’immola par le feu le 16 janvier 1969, place Venceslas, pour protester contre l’indifférence du peuple face à l’invasion de son pays par les forces du Pacte de Varsovie.
La Vie brève de Jan Palach. Anthony Sitruk. © le dilettante, 2018. 12 x 18 cm – 192 pages – 16,50 euros- ISBN :9 78-2-84263-967-9 dilettante n. (mot ital.) Personne qui s’adonne à une occupation, à un art en amateur, pour son seul plaisir. Personne qui ne se fie qu’aux impulsions de ses goûts. Le Petit Larousse.
Félix José Hernández.
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